Athlète du moment: Anais

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Anaïs, le démon de la compétition

  Anaïs secoue ses boucles de laine, elle fronce les sourcils, elle serre les poings, ses petits poings de jeune fille comme il faut,  et elle dandine et elle balance et elle tortille, et elle trace !

Elle me fait penser à la Suzanne des « Vagues », de Virginia Woolf : « Maintenant, je vais envelopper mon chagrin dans mon mouchoir de poche. Je vais le serrer bien fort et l’enrouler comme une boule. Je vais aller seule dans le bois de hêtres, avant les leçons. Ici, tout est plein de trouble et d’agitation. Mes cheveux sont des feuilles. Mais je suis déjà lancée sur la piste. Il m’arrive parfois de penser que je suis les saisons, le mois de janvier, le mois de mai, le mois de novembre ; que je fais partie de la boue, du brouillard et de l’aube. Je ne puis ni flotter, ni me mêler aux autres êtres. Et cependant, je sens le poids de ce qui lentement m’a grandi dans le cœur. Les seules paroles que je comprenne sont de simples cris d’amour,  de haine, de rage et de douleur. Je suis liée par de simples mots. Mais les autres, eux, étalent leurs papillons blancs, ils vaguent à l’aventure. Avec des mots et des mots enfilés en phrases. Mon Dieu, faites qu’ils vaguent à leur aventure et que moi, je reste invisible. »

Anaïs passe devant, ses poings sont serrés et ses épaules sautent, elle joue des coudes et des épaules, et ses boucles de laine tressautent, ses boucles blondes, Eh Oh…  Eh Oh… elle est décidée, elle a le front bagarreur des gens décidés, Eh Oh… Eh Oh…, elle avance, elle avance et ses épaules sautent… Elle ne veut pas savoir si elle a mal. Elle va mettre sa douleur dans son mouchoir de poche et le serrer bien fort et l’enrouler comme une boule.

Et voici qu’elle arrive, elle franchit la ligne, Eh Oh… Eh Oh… 45 minutes, record battu.

De course en course, Eh Oh Eh Oh, encore quelques secondes de grignotées, par deux fois, elle a battu son record sur 10 km. Au printemps dernier, elle finissait le marathon en 3h34.

Le démon de la compétition l'a rattrapée dès qu’elle a épinglé son premier dossard, elle ne sait pas si elle va s’en débarrasser un jour.

Pour elle, courir n’est pas une drogue. Seulement une puissante addiction. Courir libère, régénère, intensifie la vie. 
Ses prochains objectifs: le marathon de Paris bien sûr, où elle vise moins de 3h30. Et les trails, et les cross. Et le Mont Blanc, et les triathlons…

Et la vie qui continue, les moments de la vie où elle ne court pas.

Car, pour notre magistrat secrète, il y a des moments de la vie où on ne court pas, mais pas de moments sans compétition. Et quelle est la compétition qui s’annonce, quelle est la compétition qui compte ? C’est pas le Mondial de foot, c’est pas les JO. C’est pas dans les salles d’audience, c’est pas les duels mouchetés des porteurs de robes.

A coup sûr, c’est une compétition où personne ne court mais vers laquelle on court. A grandes enjambées et à grands pas.

Fais gaffe, le jour venu, de ne pas te tromper d’aventure, ni de papillon blanc.

Jean-Marc Geidel